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Howard Phillips Lovecraft. Si ce nom ne vous dit rien, vous ne pouvez pas prétendre être un amateur de fantastique et d'horreur, car il est, avec son mythe des Grands Anciens, l'une des pierres angulaires de ces genres dans la littérature américaine (et mondiale), aux côtés d'Edgar Allan Poe et Stephen King. Et aujourd'hui, Cyanide s'empare du titre de sa nouvelle la plus connue pour tenter un pari que beaucoup (voire tous) ont déjà raté auparavant, tous médias confondus : livrer une adaptation directe/officielle de Lovecraft digne des textes originaux. C'est arrivé, maintenant, voyons ce que ça donne.
N'est pas mort ce qui à jamais dort...
Boston, 1924. Edward Pierce, détective, est au fond du trou. Ses cauchemars récurrents depuis la fin de la guerre empirent au point de lui faire entendre des voix d'outre-tombe et voir des scènes sorties des pires horreurs possibles, il replonge lentement dans l'alcool, et il refuse tellement d'affaires (il les juge inintéressantes) que son agence menace maintenant de lui couper son accréditation. C'est justement le moment que choisit une personnalité de la ville pour venir lui confier une affaire étrange : sa fille, Sarah Hawkins, est morte dans un incendie avec sa famille, mais l'une de ses peintures a été expédiée chez son père après sa mort... Intrigué par le visuel de la toile, Edward accepte l'affaire et s'embarque pour l'île de Darkwater, au large de Boston, où Sarah vivait de façon recluse avec sa famille et les locaux. Pierce est alors encore loin de s'imaginer dans quoi il s'embarque vraiment...
On démarre fort et on commence même à distribuer ses premiers Points de Personnage, comparables à des points d'expérience, qui permettent de faire évoluer les compétences d'enquêter de Pierce. Le jeu en distribuera encore régulièrement par la suite, mais ce point de départ est l'occasion de définir précisément ce sur quoi vous allez mettre l'accent et aussi de faire évoluer l'occultisme et la médecine légale, qui ne seront ensuite améliorables que via des objets et artefacts à découvrir soi-même. À vous de choisir si vous allez être éloquent ou recourir à la menace physique, quelle connaissance vous avez de la psychologie humaine, etc... Ceci offre un aspect RPG au jeu qui n'est pas désagréable, d'autant que bien des actions demanderont un certain niveau dans des compétences bien précises, et que cela débloquera (ou non) certaines réponses supplémentaires dans les dialogues.
Un petit point sur la technique : si le tout est encore assez perfectionnable, notamment dans les animations et la modélisation des personnages, l'ensemble est de très bonne facture et nous plonge de plein fouet dans l'ambiance d'une île isolée et avec des secrets dans les années 20. De même, l'ambiance sonore est très bien pensée et ajoute du cachet à l'ambiance, avec des musiques discrètes qui soulignent bien les actions du moment.
Forcément, des cultistes un peu irrités traînent dans le coin...
Et au long des ères étranges peut mourir même la Mort...
Niveau gameplay, on fait dans le simple et efficace, en reprenant une bonne partie des bases du FPS côté manette et du jeu d'aventures point and click pour le fond. En très gros, donc, on va mettre à l'honneur votre sens de l'observation (rassurez-vous, les objets interactifs sont ndiqués, même si les plus secrets, en vert, sont bien cachés) et votre capacité à collecter des indices pour résoudre le mystère autour de la mort de Sarah Hawkins et sa famille. Collecte d'éléments, énigmes, dialogues à choix multiples, tout est là pour vous mettre dans la peau d'un enquêteur un minimum digne de ce nom, et il faudra faire attention à chaque détail, quitte à prendre son temps. Et on arrive à l'un des éléments importants de l'œuvre lovecraftienne : la santé mentale.
Vous devrez en effet faire attention à la santé mentale de Pierce, qui va être mise à rude épreuve à mesure que vous avancez. La vérité en échange de votre sanité d'esprit, parce que l'être humain est incapable de seulement concevoir l'existence de ce à quoi vous allez assister. Certains éléments sont entièrement définis par l'histoire, d'autres dépendent de vos choix. Notez qu'il y a parfois plusieurs façons d'avancer (le passage dans les sous-sols de l'asile en est un bon exemple) et que rien ne vous bloquera jamais vraiment. Si vous n'avez pas le niveau requis dans une compétence pour aller vers une solution, tentez-en une autre : il y a TOUJOURS un moyen de s'en sortir, mais certains vous feront plus de dégâts psychologiques que d'autres. En parlant de dégâts psychologiques, sachez que Pierce peut être pris de crises de panique si vous restez trop longtemps dans certains endroits (armoires où vous cacher, conduits où vous glisser...) et l'effet est assez saisissant. Le champ de vision se réduit lentement, les vibrations se font de plus en plus fortes, comme le souffle du personnage de plus en plus rapide, et vous en viendrez vite à souhaiter sortir rapidement de cet endroit... Très bien exécuté.
Enfin, parlons des reconstitutions. Sur les scènes de crime, vous devrez en effet plonger dans une sorte de transe pour reconstituer la scène et découvrir de nouveaux faits et indices sur ce qu'il a pu se passer. C'est assez comparable aux analyses de scènes de crime des Batman Arkham (fun fact : le terme Arkham vient de l'univers lovecraftien) et tout aussi agréable à jouer. Il se pourrait même que certaines scènes soient bien corrompues et provoquent en quelque sorte des interférences avec cet étrange pouvoir...
La lumière sera très utile pour ne pas avoir (trop) peur et trouver des indices cachés...
Dans sa demeure de R'lyeh, le défunt Cthulhu attend en rêvant...
Mais là où le jeu fait très fort, c'est sur le traitement de l'ambiance et du scénario. Attendez-vous à douter souvent et très vite. En plus de la perte de santé mentale, on s'aperçoit rapidement que la frontière entre la réalité et l'hallucination est particulièrement mince, et on se demande très vite de quel côté on est, notamment suite à un certain événement... Notons que le jeu s'inspire autant des textes de Lovecraft que du jeu de rôle papier Call of Cthulhu (peut-être même encore plus avec rien de moins que Mark Morrison, l'un des auteurs du dit jeu de rôle, parmi les scénaristes).
On se trouve donc très vite pris dans l'intrigue, à essayer de démêler les fils de la réalité, et à être souvent en situation de peur ou de malaise grâce à la mise en scène et l'ambiance. Si le jeu ne manque pas de jumpscares, il ne joue pas plus là-dessus que sur le gore et préfère se centrer sur une sensation de malaise permanent à la seconde où on a mis le pied sur le quai de Darkwater. On se sent en effet aussitôt étranger et absolument pas bienvenu, sans même parler du fait que l'île, avec son brouillard et ses montagnes, dégage une aura qui met fortement mal à l'aise... Bref, nous avons là une ambiance bien pesante à chaque pas, et ça suffit à provoquer des pics de frayeur de façon assez simple.
Le tableau est peut-être un peu gâché par des animations un peu rigides et une histoire qui se révèle finalement assez dirigiste malgré ses fins multiples du fait de l'enchaînement de niveaux à l'ancienne, sans possibilité d'aller explorer les autres zones une fois hors du chapitre concerné, mais le tout est assez bien fait pour attirer les amateurs de policier, de fantastique et d'horreur psychologique, voire même de RPG. Et, surtout, il a tout pour satisfaire les amateurs de Lovecraft, tant le pari de Cyanide est réussi. Ce Call of Cthulhu est sans doute à ce jour la première vraie réussite d'une adaptation directe/officielle des œuvres de Lovecraft (avant cela, on devait aller voir du côté de L'Antre de la Folie côté cinéma, ou de Eternal Darkness et Darkest Dungeon côté jeux vidéo, soit des œuvres qui assument leur inspiration de fort belle manière, mais ne sont pas des adaptations).
À moins d'être vraiment allergique aux FPS et d'être plus myope qu'une taupe (les sous-titres sont parfois un peu délicats à lire...), il n'y a aucun raison de refuser l'invitation de Cyanide à entrer dans la folie, si tant est que l'univers vous tente.
Darkwater, une île très agréable....
Le pari était osé, et force est d'admettre que Cyanide sait embaucher ses scénaristes. Call of Cthulhu nous plonge droit au cœur, à la base de l'univers lovecraftien et du mythe des Grands Anciens, à grands renforts de références bien utilisées et, surtout, d'une ambiance à toute épreuve. Le jeu joue sans cesse sur la notion de santé mentale du personnage principal et n'hésite pas à brouiller en permanence les pistes entre réalité et hallucination, le côté RPG est bien utilisé, et le gameplay est simple mais efficace. Une nouvelle référence pour les amateurs de Lovecraft, et d'horreur psychologique en général.
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